Au-delà de la qualité de la production viticole, comme pour tous les produits nobles, voire de luxe, l'image est une composante non négligeable d'un vignoble. A tel point que certaines propriétés utilisent l'architecture comme vecteur de l'idée de grandeur qu'elles veulent donner de leur vin. Cette démarche n'est pas nouvelle, elle est même à l'origine du "château" viticole à la bordelaise depuis plusieurs siècles, à moins que ce soit l'architecture qui est à l'origine même de la grandeur du vin...
C'est à cette période que né la notion de "Château" pour une propriété viticole. C’est ce que démontre Michel Réjalot dans ses travaux au sein du CERVIN*.
Ce sont des constructions qui doivent montrer la richesse de la noblesse et de la haute bourgeoisie bordelaise, des lieux de villégiature pour leur propriétaire où ils reçoivent dans le luxe. Un de ces bijoux du XVIIIe sc est le Château de Malle (photo 1)
Le style classique puis néo-classique domine.
C'est une période dominée par les échanges avec le reste du monde. Cette ouverture donne des idées et une architecture plus "exotique", un temps où l'originalité peut s'exprimer. Le plus emblématique de ce mouvement est le Château Cos d'Estournel (photo 2), qui devient, en 1830, un palais d'inspiration indienne dédié au vin de Saint Estèphe (Médoc).
Le classicisme perdure tout de même, c'est une valeur sûre pour asseoir son ascension sociale. C'est à cette époque (1815) qu'est édifié de Château Margaux (photo 3) tel qu'on le connait aujourd'hui.
A quelques exceptions près, ce n'est pas la période qui brille par son audace. Il faut dire qu'entre les guerres, les problèmes économiques à l'échèle mondiale, l'émergence des vins du "nouveau monde"... la vieille Europe et en particulier le bordelais, est mise à rude épreuve. Alors ce n’est pas une période qui incite à l’aventure. On cherche à inscrire le vin de Bordeaux dans le patrimoine. Les travaux portent sur la restauration et l’entretien de ces belles demeures. L’exemple de la renaissance d’un premier Grand Cru Classé en est le parfait résumé : en 1977, André Mentzelopoulos achète Château Margaux alors que personne n’en veut, il commence par faire des travaux de remise en état du château très délabré et ensuite fait de même avec les vignes et permet ainsi au vin Château Margaux de retrouver son rang.
Ce n’est qu’à la toute fin du XXe sc (à partir des années 90) que le bordelais, ou tout du moins les grands crus, voient leur prix s’envoler ce qui commence à leur donner des ailes et des envies de concrétiser dans le « dur » cette renommée.
Il est temps de récolter les fruits de ce renouveau et que ça se voit ! C’est aussi une façon de s’adapter aux nouveaux enjeux de la mondialisation. Le bordelais doit se doter d’outils d’œnotourisme à la hauteur de sa notoriété et faire face aux infrastructures grandioses du vin américain.
Jusqu’à lors, la partie noble du bâti était le château ou la demeure. Le XXe sc voit le désir de conservation du patrimoine et le XXIe sc l’association de ce patrimoine avec une image moderne. Le vin de Bordeaux est le fruit d’une longue histoire un d’un grand savoir-faire qui sait se renouveler et s’adapter à ses nouveaux clients. Voilà le message qui doit être diffusé dans le Monde, voilà la nouvelle ambition donnée à l’architecture.
De grands noms de l’architecture sont alors convoqués et c’est une profusion de projets qui fleurissent aux quatre coins des appellations de Bordeaux : 2009 Mario Botta au Château Faugères (photo 4), 2011 Christian de Portzamparc au Château Cheval Blanc, 2014 Jean Nouvel au Château La Dominique, 2015 Norman Foster au Château Margaux (photo 5), 2015 Jean-Michel Wilmotte au Château Pédesclaux (photo 6 et 7), 2016 Philippe Starck au Château Les Carmes Haut-Brion (photo 8), 2020 Daniel Romeo au Château Haut Bailly (photo 9)… avez-vous déjà vu autant de gloires au km² ?
*CERVIN : Centre d’Etude et de Recherche sur la vigne et le VIN